Employeurs, salariés, tous trompés !!!!

 

Quand un pays connaît durablement un taux de chômage qui avoisine 10 %, comment pourrait-on reprocher à son gouvernement de rechercher les moyens de lutter contre ce fléau ? Tel est l'objectif affiché par l'ordonnance du 2 août 2005 relative au contrat de travail "nouvelles embauches" (CNE) et par le projet de loi relatif au contrat "première embauche" (CPE) en cours de discussion au Parlement.

 

Les chefs d'entreprise vont pouvoir enfin, espèrent-ils, parvenir à licencier à leur guise, sans avoir à donner de motif, sans avoir à s'en expliquer ni avec leurs salariés, ni surtout devant le juge, les personnes recrutées par CNE et CPE, pendant les deux premières années de ce contrat.

Hélas pour les employeurs, la réalité sera toute différente, pour plusieurs raisons :

 

  1. Contrairement à certains propos officiels, l'employeur devra, comme aujourd'hui, convoquer préalablement le salarié à un entretien et lui adresser une lettre de licenciement très précisément motivée, en respectant certains délais, le tout sous le contrôle du juge, pour les licenciements "disciplinaires", mais aussi dans les cas de discrimination ou bien quand il s'agira de licencier une femme enceinte, des personnes victimes d'accidents du travail ou de harcèlement. Seul les licenciements pour « insuffisance professionnelle » et «  les licenciements pour motif économique » ne seront plus concernés par cette procédure.

 

  1. En droit commun, le salarié licencié sait ce que l'employeur lui reproche. Il peut donc, en connaissance de cause, décider de saisir ou non le juge, ce qui se fait assez rarement, contrairement à une idée reçue chez les employeurs. Devant le juge, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. Avec le CNE (et demain le CPE), la lettre de licenciement sera le plus souvent non motivée. La charge de la preuve incombera au salarié qui devra démontrer que son licenciement n'est fondé ni sur l'insuffisance professionnelle ni sur un motif économique. L'ignorance du motif du licenciement va contraindre le salarié, pour le connaître, à assigner presque systématiquement en justice son employeur (alors que l'on entretient les employeurs dans l'illusion que le CNE les mettrait à l'abri du juge !).

 

  1. L’ordonnance du 2 août 2005 est-elle conforme à la convention no 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par la France ?

·       L'article 4 de la convention de l'OIT interdit qu'un travailleur puisse être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement.

·       L'article 2 de la convention qui permet d'exclure les garanties qu'elle prévoit aux salariés "n'ayant pas la période d'ancienneté requise à condition que la durée de celle-ci... soit raisonnable". Le Conseil d'Etat a considéré que le délai de deux ans prévu par l'ordonnance précitée était raisonnable au regard du but poursuivi (favoriser l'emploi). Sa décision, très contestable, ne s'impose nullement au juge judiciaire, qui a toute latitude pour avoir une appréciation contraire.

·       L'article 7 de la convention, précise « qu’un travailleur ne devra pas être licencie pour des motifs lies à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées »  ….

·       L’article 9 de la convention, précise que la charge de prouver l'existence d'un motif valable de licenciement devra incomber à 1'employeur »,« en cas de licenciement motive par les nécessites du fonctionnement de l'entreprise, les juges doivent être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs »…..

 

  1. L’ordonnance du 2 août 2005 est-elle conforme à la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne dite « Charte de Nice » du 18 décembre 2000 ?

·       L'article 30 de la « Charte de Nice », précise que « tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales ».

 

  1. L’ordonnance du 2 août 2005 est-elle conforme à la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 ?

·       L'article 24 de la Charte est rédigé de la manière suivante en vue d'assurer I'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître (...) le droit des travailleurs à ne pas être licenciées sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessites de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ».

 

Comme on peut le constater, l’ordonnance ne va pas simplifier la vie de l’employeur, alors quel est le but recherché ?

 

Le plus préoccupant est ailleurs. Imagine-t-on la situation angoissante de ces salariés qui, chaque matin, et pendant deux années, ignoreront si leur contrat sera maintenu le lendemain, même s'ils bénéficieront, en cas de rupture, d'un court délai de préavis, insuffisant pour retrouver un emploi ? Certes le CDD est aussi un contrat précaire. Mais au moins pendant toute sa durée, qui peut atteindre dix-huit mois, le salarié est sûr de ne pas être licencié (sauf faute grave ou force majeure).

 

Une récente étude de la Sofres explique que 40 % des salariés du secteur privés ne se syndiquent pas "par peur des représailles". Ce sera vraisemblablement près de 100 % pour les titulaires de CNE et de CPE...

 

Avec l’individualisme et la désyndicalisation les salariés seront corvéables à merci. En fait, les politiques préparent le démantèlement du code du travail, la suppression des organisations syndicales et la précarité de l’emploi, afin de faciliter la mise en place de la directive BOLKESTEIN !!!!

 

C’est pourquoi, Force Ouvrière a saisi le Bureau International du Travail (BIT) en août dernier pour faire constater la violation par la France des dispositions des conventions 158 et 166 de 1'OIT. Le BIT devrait rendre sa décision dans le courant de 1'annee 2006.

 

 

Maj le 15/02/06