La création des Assurances Sociales 1928-1945
Les premières réactions du patronat : « la charge insupportable »
Capitalisation contre répartition
La Sécurité Sociale n'est sortie pas du néant, elle est l'aboutissement d'un combat. Celui du mouvement ouvrier et du syndicalisme indépendant. C'est en particulier l'action d'un militant Georges BUISSON dont la vie s'est confondue avec la création des Assurances Sociales de 1930 avant d'être l'inspirateur de la Sécurité Sociale en 1945.
Depuis 1910 existaient les ROP « Retraites ouvrières et paysannes » qui instauraient un régime de retraite sur le papier car, l'obligation de cotiser ayant disparu du texte adopté par la chambre, la plupart des employeurs n'avaient jamais versé les cotisations pourtant prélevées sur les salaires. La loi des ROP ne prévoyant aucun recours pour les y contraindre.
Au retour de la guerre de 14/18, les caisses étaient vides. Après cette lamentable expérience des ROP et le scandale que cela souleva, le ministère Tardieu mis en difficulté se senti obligé de prendre une initiative…
Aussi en 1919 une commission parlementaire dirigée par le sénateur Chauvau, chargée d'étudier le dossier, procéda aux consultations des parties concernées. Peut-être cherchait-t-on à "enterrer le dossier" en utilisant cette pratique courante sous la Illème République. En effet, "La meilleure façon de résoudre une question épineuse c'était de créer une commission parlementaire" disait-on. Cette commission "fonctionna" 11 ans. De quoi décourager les plus patients des négociateurs. Et oui, on a rien inventé !!!!
La loi de 1930 contenait l'obligation de verser une cotisation égale à 10 % du salaire prélevée pour moitié sur le salaire proprement dit, les 5 % restant à la charge de l'employeur. Les salariés dont la rémunération était supérieure à un certain plafond étaient exclus du champ d'application de la loi. L'ensemble des cotisations servait à couvrir tous les risques liés au travail (maladie, chômage, retraite) sauf les Accidents du travail qui relevaient d'une législation de 1898 qui confiait aux institutions financières privées le soin de collecter ces cotisations et leur redistribution.
Cette loi souleva dès la parution de sa première mouture en 1928 un tollé général et univoque des patrons. C'était « la nouvelle charge insupportable ». les arguments ne changent pas !!!
Le vrai problème, c’était qu les patrons voulaient rester les maîtres d 'œuvre. Dans de nombreux secteurs s'étaient constituées dès 1830 des caisses de secours mutuels sous contrôle patronal. Dès lors que le patron versait à la caisse de secours, il se conservait pour le moins un droit de regard et souvent une gestion totale comme c'était le cas dans les mines de Blanzy au Creusot. Lors des grandes grèves de 1 870, les cahiers de revendications des ouvriers de Blanzy comportaient l'exigence du contrôle de ces caisses par l'élection du président et une parité de représentation au conseil d'administration. Les Charcot, patrons des mines, s'y opposèrent jusqu'à la création du syndicat des mineurs en 1899. Les « confédérés » avait contourné cette difficulté en favorisant la création des caisses de secours mutuels « le travail » qui collectaient les cotisations volontaires des salariés et parfois les subventions des employeurs tout en conservant la maîtrise de l'institution.
George Buisson était l'un des principaux dirigeants de ces caisses mutualistes et mesurait parfaitement la nécessité de conserver le contrôle des caisses.
Cette formule duale met en jeu des questions qui touchent à la nature des Assurances Sociales et plus généralement des institutions de protection sociale. La capitalisation est bien connue des milieux financiers et de l'Etat. Elle est à l'origine du système d'assurance qui s'est développé au XlXè siècle en association avec le capital bancaire. L'assuré versait une cotisation qui était mise sur un compte et générait des intérêts. A ce titre il s'ouvrait des droits à prestations dans la limite du compte alimenté.
Ce système a posé dès l'origine un problème de droit. A qui appartiennent les sommes placées sur un compte ? Lorsqu'il
s'agit d'un particulier, la réponse est claire mais lorsqu'il s'agit d'un employeur, ou de l'Etat, qui place cet argent produit de cotisations qu'il a lui-même prélevé. En cas de faillite, qui des cotisations versées ?
La loi de 1910 apporte un progrès en répondant à ces deux questions : Elle reconnaît la propriété inaliénable des futurs retraités et elle impose une gestion des fonds collectés distincte de la gestion de l'entreprise donc n'entrant plus dans les actifs de cette dernière.
Lorsque les salariés manifestent aujourd'hui pour la défense de la Sécurité sociale, ils scandent : « La sécu, elle est à nous.... » Ont-il tort de considérer qu'elle est leur propriété ; leur patrimoine collectif financé par leur salaire différé; leur conquête sociale fondée sur leur travail ?
Pour tous les gouvernements qui se sont succédés sous la Ve République : oui, ils ont tort.
De 1958 à 2006, pour tous les gouvernements qui ont organisé contre-réforme après contre-réforme pour tenter de liquider cette institution, la sécurité sociale est tout au plus, une libéralité, possible en période de « vaches grasses » uniquement.
Ce n'est surtout pas un acquis de la classe ouvrière.
Aujourd'hui, nous sommes en période de « vaches maigres », et la protection
sociale serait désormais un luxe. Vaches
grasses en 1930 ?
L'économie française avait tout juste reconstitué son potentiel d'avant la première guerre mondiale et une crise mondiale terrible s'annonçait au lendemain du jeudi noir de Wall Street (Krach boursier d'octobre 1929).
Et en 1945 lors de création de la Sécurité Sociale, alors que la France sort à peine du chaos ; période de vaches grasses ?
Pourtant le patronat cède à une cotisation de 29%, alors qu'il pleurait en 1928 pour une de 10 %., trop content qu'on lui demande son avis alors qu'il s'était largement compromis dans la collaboration.
C'est la force de la Classe ouvrière en 1945 et l'opiniâtreté de BUISSON qui amèneront patronat et gouvernement à accepter la Sécurité Sociale. Les ennemis de la protection sociale ne sont pas dans une situation favorables et toutes leurs forces se concentreront pour empêcher le régime unique. Ils réussiront à obtenir la séparation de la maladie et des allocations familiales.
Aujourd'hui comme hier, le patronat et les institutions qui parlent en son nom (MEDEF, Union européenne, gouvernements) sont hostiles aux systèmes de protection sociale et s'expriment et avec les mêmes arguments :
Ce lien c'est le combat qu'ils
ont mené
Ce lien, c'est le combat qu'il
nous
appartient
de mener et de
gagner