Traité
ou Constitution?
«Traité
établissant une constitution pour l’Europe»: tel est finalement l’intitulé du
texte signé par les chefs d’État et de gouvernement lors
de la Conférence Intergouvernementale (CIG) le 18 juin 2004.
Est-ce un «traité» de plus, s’insérant
dans le processus de la construction européenne, appelé, à l’égal des
précédents et s’il est ratifié, à être ensuite modifié ou remplacé par de
nouveaux traités? Ou bien s’agit-il d’une «constitution» changeant la nature
même des institutions de l’Union Européenne et du
processus de son évolution?
Traité ou «Constitution», le projet actuel poursuit un
processus de transfert de compétences des États vers les institutions de l’Union européenne, dotée d’un ordre juridique propre tendant
à s’imposer aux autorités nationales. En tout état de cause, le champ de
compétence de la Cour de Justice européenne tend à s’élargir, conduisant au développement
d’une jurisprudence volumineuse et complexe, le dernier mot risquant de revenir
de plus en plus aux juges européens. Le champ et l’organisation des compétences
transférées, la formation du droit
européen, les politiques
économiques et sociales, le rôle et l’action syndicales, entre le niveau
européen et le niveau national, tels qu’inscrits dans le projet de traité sont autant
de questions ajoutant au débat.
La France peut-elle demeurer une
République…
Chronologie de la construction
Européenne
«Traité»: selon la Convention de Vienne
(1969), qui codifie le droit des traités, «l’expression traité s’entend d’un
accord international conclu par écrit entre États et régi par le Droit
international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans un ou
plusieurs
instrument connexes, et quelle que soit sa
dénomination particulière».
Un traité ayant vocation à devenir une
Constitution?
Par son contenu cependant, et non
seulement par son titre, le texte tend symboliquement à se présenter comme une
constitution. On considère en effet généralement qu’une constitution a pour
objet la définition des droits des citoyens, l’organisation du gouvernement
pour leur garantie, dont notamment la séparation des pouvoirs[3].
Très long pour une constitution (448
articles, 36 protocoles et 50 déclarations annexés alors que la Constitution
française comporte 124 articles), le projet comprend un court préambule, quatre
parties et des annexes. Il a ainsi vocation à devenir le texte unique, là où,
jusqu’à maintenant, plusieurs traités étaient en vigueur. Ainsi l’article
IV-437 «Abrogation des traités antérieurs» prévoit que «le présent traité
établissant une Constitution pour l’Europe abroge le traité instituant la
Communauté européenne et le traité sur l’Union
européenne» et l’article IV-438 indique que «l’Union
européenne établie par le présent traité succède à l’Union
européenne instituée par le traité sur l’Union
européenne et à la Communauté européenne».
«Constitution»: une constitution est
généralement considérée comme l’émanation de la souveraineté d’un peuple
constitué en État par une volonté commune, celle-ci étant définie comme
résultant de la majorité. Elle est la norme juridique suprême de l’État ainsi constitué.
Une constitution est traditionnellement
élaborée par une assemblée constituante, élue à cette fin, et adoptée sous la
même forme ou par le recours au suffrage universel. Sa modification éventuelle
procède de la même souveraineté du peuple, par voie parlementaire ou par
suffrage universel.
Le texte du projet actuel de «traité établissant une constitution pour l’Europe» franchit une nouvelle étape. Sans le dire explicitement et d’une certaine manière après coup, il confère, à la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d’Estaing, le statut d’assemblée constituante!
Ainsi, dans le préambule, les chefs d’État et de gouvernement signataires se déclarent «reconnaissants aux membres de la Convention européenne d’avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyennes et des citoyens et des États d’Europe».
Or, si les Chefs d’État ou de gouvernement ont bien décidé du mandat et de la composition (Conseil de Laeken 14-15 décembre 2001) de la Convention[4], les citoyens n’ont pas été directement appelés à élire, ni même à donner leur avis, tant sur ce mandat que sur la composition de cette Convention.
L’article I-6 du projet actuel, intitulé «Le droit de l’Union», semble on ne peut plus clair: « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres.»
On notera en premier lieu que, par raccourci linguistique, le texte ne fait plus référence à ce qu’il est: « un traité établissant une Constitution», mais à «la Constitution».
On ne trouvait pas dans les traités précédents d’article ni de formulation d’une portée aussi générale.
Cela laisse entendre que ce n’est plus simplement le droit résultant des lois mais y compris le droit constitutionnel qui pourrait être directement en cause, et, parmi les questions d’ores et déjà soulevées sur la compatibilité entre le projet de traité et la Constitution française, figurent: la laïcité et l’indivisibilité de la République.
Le débat porte notamment sur l’article I-2[3] du projet de traité qui proclame que «l’Union est fondée sur les valeurs de respect […] y compris des droits des personnes appartenant à des minorités». L’une des questions posées est de savoir si cela conduit à une obligation de reconnaissance d’un statut de telle ou telle communauté et, dans ce cas, si cela est compatible avec le principe d’indivisibilité de la
République (article 1 de la Constitution française)?
l’article II-70[6], issu de la Charte des Droits fondamentaux, qui instaure «la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites». La question ici posée est de savoir si cette liberté ainsi exprimée est compatible avec la nature laïque de la République (article 1 de la Constitution française) associée à l’article 10 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui garantit que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public»?
La menace à l’emploi et au cataclysme Européen est outil
médiatique parfaitement rodé depuis les années 90, rappelez-vous :
Mais la réalité est toute autre, car le processus de la construction européenne n’est pas exempt de crises importantes et d’aléas:
Comme on peut le constater, ce n’est pas la première fois que la France s’oppose et nous sommes toujours présent sur l’échiquier Européen ainsi que tous les autres pays.
1946 |
> dans un discours célèbre
prononcé à
Zurich le 19 septembre, Winston Churchill évoque la création des «États-Unis d’Europe», tout en considérant
que la Grande Bretagne n’a pas vocation à en faire partie |
1948 |
> création de l’Union Occidentale (traité de Bruxelles entre la
France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays Bas et le Royaume Uni) qui prévoit une assistance
mutuelle en cas d’agression. |
1949 |
> signature à Washington le 4 avril du
Traité
de l’Atlantique-Nord instituant l’Alliance atlantique (OTAN) entre 10
pays d’Europe
occidentale, les États-Unis et le Canada, dans le but de créer un système de sécurité collective. |
1950 |
> discours (9 mai) de Robert Schuman,
ministre français des Affaires étrangères, préparé par Jean Monnet, dans lequel il
propose «de placer l’ensemble de la production
franco-allemande du charbon et d’acier
sous une autorité commune, dans
une organisation ouverte à la participation
des autres pays d’Europe». C’est dans ce discours que Robert Schuman explique que «l’Europe
ne se fera pas d’un coup, ni dans
une construction d’ensemble elle se
fera par des réalisations concrètes créant d’abord des
solidarités de fait» |
|
> Traité de Paris (18 avril) instituant la
Communauté européenne du charbon et de l’acier
(CECA) entre l’Allemagne (de l’Ouest), la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.
Ce traité est entré en vigueur le 10 février 1953 pour une durée de 50 ans |
1952 |
> signature du Traité de Paris (27 mai) créant une Communauté européenne de défense (CED) entre
les mêmes six pays |
1953 |
> Parution du règlement de procédure de la Cour de Justice européenne au Journal officiel de la CECA |
1954 |
> l’Assemblée
nationale française rejette (30
août) l’autorisation de ratification du traité instituant la CED (53 socialistes sur 105, 34 radicaux sur 76, 99
communistes, 10 UDSR sur 24, 2 MRP sur 86, 67 gaullistes sur 73, 16
gaullistes dissidents sur 33). Ce traité
pourtant signé ne sera jamais
ratifié et donc n’entrera pas en vigueur |
1955 |
> admission de
l’Allemagne
au sein de l’OTAN (5 mai) |
1957 |
> signature du Traité de Rome (25 mars) entre les six pays
(Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) instituant la
Communauté économique
européenne (CEE ou Marché commun) et la Communauté européenne de l’énergie atomique
(Euratom) |
1958 |
> entrée en vigueur (1er janvier) des traités de Rome pour une durée illimitée |
1960 |
> création de l’association européenne de libre-échange (AELE) qui regroupe:
l’Autriche,
le Danemark, Royaume Uni, la Norvège, le Portugal, la Suède, la Suisse. Cette zone
de libre échange
est limitée
aux produits industriels et agricoles transformés (excluant ainsi les produits
agricoles de base et la pêche). Avec les élargissements successifs des Communautés européennes puis de l’Union européenne, l'AELE ne compte plus
désormais
que 4 pays: l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse (cf. ci-dessous l’EEE en 1994) |
1961 |
> sommet européen (réunion des Chefs d’État et de gouvernement) à Bonn où est exprimée la volonté de créer une union politique entre les six pays |
1963 |
> le doute émis par le général
de Gaulle, président de la République française, quant à la volonté du Royaume-Uni d’adhérer à la Communauté, conduit à l’arrêt des négociations avec tous les pays
candidats (Royaume Uni, Irlande, Danemark, Norvège) |
1964 |
> Arrêt de la CJCE dit Costa/ENEL (15 juillet) posant le principe de la
primauté du droit communautaire sur le droit
interne des États |
1965 |
> Signature à Bruxelles (8 avril) du traité de fusion des exécutifs des trois communautés (CECA, CEE et EURATOM). |
1966 |
> Après 7 mois de politique de la «chaise
vide», le gouvernement français siège à nouveau au
Conseil, ayant obtenu en contrepartie le compromis dit de Luxembourg.
Celui-ci rétablit la procédure de vote à l’unanimité, alors que la
troisième et dernière phase de transition avant la mise
en place du marché commun dans le
cadre de la CEE devait conduire à
ce que la plupart des décisions du
Conseil soient prises à la majorité |
1967 |
> Le Royaume-Uni, puis l’Irlande, le Danemark et la Norvège renouvellent leur demande d’adhésion à la Communauté. Le Général de Gaulle
maintient son opposition concernant le Royaume Uni, considérant que celle-ci se ferait au détriment d’une véritable union politique et conduirait à une seule zone de libre-échange |
1969 |
> Arrêt de la CJCE dit Stauder (12 novembre)
touchant à la question de la protection des
particuliers et considérant que les
principes généraux du droit communautaire, qu’elle a compétence à faire respecter, comprennent les droits fondamentaux de la
personne |
1970 |
> Le rapport Davignon
vise à ce que la coopération politique conduise à ce que l'Europe puisse s'exprimer
d'une seule voix sur les problèmes
internationaux importants |
1971 |
> Le Parlement européen adopte une résolution (12 février) concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, mettant parallèlement l’accent sur le respect des directives par les États membres et sur le contrôle par la Commission de leur
application. |
1972 |
> La Norvège ne ratifie pas l’adhésion (signée le 1er janvier)
à la CEE à la suite d’un référendum
négatif (25 septembre) |
1973 |
> Élargissement de la CEE à
neuf avec le Danemark, le Royaume –
Uni et l’Irlande (1er janvier) |
1974 |
> Arrêt de la CJCE dit Van Binsbergen (3 décembre) relatif à la libre prestation de services
visant à éliminer
toute discrimination à l'encontre d'un
prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il réside dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie |
1975 |
> Un référendum
a lieu au Royaume Uni posant la question du maintien dans la CEE (5 juin):
67,2 % des votants se prononcent en faveur |
1978 |
> Arrêt de la CJCE dit Simmenthal (9 mars) réaffirmant la primauté du droit communautaire sur le droit législatif national |
1979 |
> Entrée en vigueur du SME (13 mars) qui prévoit pour chaque monnaie une plage
limitée de fluctuation de valeur autour d’un taux rattaché à
l’ECU, créé comme valeur de référence du SME |
1981 |
> Élargissement à dix avec l’entrée de la Grèce |
1982 |
> Un référendum
organisé au Groenland donne une majorité en faveur du retrait de la Communauté, alors que le Groenland en est devenu
membre en tant que partie du Danemark |
1983 |
> Conseil européen de Stuttgart (17-19 juin): Déclaration solennelle sur l’Union européenne où les chefs d’État et de gouvernement se déclarent
«Résolus
à poursuivre l'œuvre entreprise sur la base des traités de Paris et de Rome et à créer une Europe unie»,
pour conclure par leur détermination «à parvenir à une conception politique commune,
globale et cohérente, et réaffirmant leur volonté de transformer l'ensemble des
relations entre leurs États en une union
européenne» |
1984 |
> Le Parlement européen adopte (14 février) un projet de «traité relatif à l’Union européenne» (rapport du député européen Spinnelli) |
1985 |
> Livre blanc de la Commission sur
l’achèvement du Grand Marché
Intérieur (14 juin) |
1986 |
> Élargissement
(1er janvier) à douze des Communautés européennes avec les adhésions de
l’Espagne et du Portugal |
1987 |
> Entrée en vigueur de l’Acte Unique Européen (1er juillet) |
1989 |
> Élection du Parlement européen
(juin) |
1990 |
> Conseil européen à Rome (14-15 décembre):
lancement de deux CIG, l’une sur l’UEM, l’autre sur l’Union politique |
1991 |
> Arrêt Stoeckel (25 juillet) de la Cour de
justice des Communautés européennes considérant que les dispositions de la législation française interdisant le travail de nuit
des femmes dans le secteur de l'industrie sont contraires au principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi |
1997 |
> Livre vert de la Commission sur
la politique de concurrence communautaire et les restrictions verticales (22
janvier) |
1998 |
> Conseil européen extraordinaire (3 mai): 11 États membres remplissent les
conditions nécessaires pour
l'adoption de la monnaie unique au 1er janvier 1999 |
1999 |
> Démission collective de la Commission après un rapport concluant à des allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission (15 mars) |
2000 |
> Conseil européen spécial à Lisbonne (23-24
mars) portant sur une nouvelle stratégie
de l'Union visant à renforcer
l'emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans une économie fondée sur la connaissance |
2001 |
> Entrée de la Grèce dans l’Euro |
2002 |
> L'euro devient la seule monnaie
ayant cours légal dans les
douze États membres participants (28 février) |
2003 |
> Entrée en vigueur du Traité de Nice (1er février) |
2004 |
> Livre vert de la
Commission sur les partenariats public-privé et le
droit communautaire des marchés publics et des concessions (30 avril) |