Croissance
et inégalités : ça s'aggrave
Créations
d'emplois et chômage : des rapports ambigus et des apparences trompeuses
Pouvoir
d'achat ' et salaires : raccourcis
volontaires et inégalités croissantes devant l'inflation
Les grandes entreprises vont bien, surtout
celles dites du CAC 40. Elles ont battu
tous les records de profits au premier semestre 2006 (51 milliards d'euros,
soit + 23 %)…. Pendant, que « la hausse de l'endettement et celle des loyers
ont entamé le pouvoir d'achat des Français, qui n'aurait augmenté / que de 0,5 % ».
Une des raisons majeures de la
crise que nous traversons vient de l'accaparement des fruits de cette
croissance par les actionnaires, au détriment de l'intérêt général et des
salariés. La preuve en est, notamment, la politique menée en terme d'emplois et
de salaires. Dans le premier cas, les départs massifs d'anciens en retraite ou
préretraite ne sont compensés en embauches que dans un rapport de 1 embauche
pour 3 départs ; dans le second cas, les augmentations générales des salaires
dépassent rarement les 1 %, alors que la rémunération du capital (ROE) se fait
à 2 chiffres.
Entre un PIB qui croît de 1,1 %
au second trimestre, soit un rythme de progression sur trois mois rarement
atteint depuis une dizaine d'années, et un taux de chômage qui retombe sous la
barre des 9 % pour la première fois depuis cinq ans, le Ministre de l'Economie
s'est laissé gagner par une douce euphorie. Déclarant : « désormais, tous les
clignotants sont au vert », Thierry Breton s'est même risqué à relever encore
un peu plus ses prévisions en matière de créations d'emplois.
Devant un tel matraquage de
bonnes nouvelles, Force Ouvrière ne peut que constater un décalage récurrent
entre quelques statistiques, qu'il convient certes d'accueillir avec
satisfaction mais non sans nuances, et le quotidien du monde salarié qui ne
cesse de vivre dans les difficultés. Il y a donc lieu d'apporter quelques
éclairages sur les raisons de cet écart manifeste entre ce regain d'optimisme
officiel et les inquiétudes persistantes qui pèsent sur la croissance, l'emploi
et le pouvoir d'achat.
Les dernières prévisions des
instituts offrent déjà de quoi tempérer sensiblement l'enthousiasme précoce de
nos ministres. Ainsi, Ixis CIB (groupe Caisse des dépôts) a publié début
septembre son indicateur avancé qui table sur une croissance de 2,1 % cette
année tandis que l'INSEE prévoit une activité en hausse de 2 %. Autrement dit,
les deux derniers trimestres marqueraient un net ralentissement de l'activité
sur des bases modestes de l'ordre de 0,4 % à 0,6 % par trimestre. Selon Ixis
CIB, « la croissance ne montre pas d'accélération claire et robuste pour le
reste de l'année ». Ce regain de croissance est essentiellement alimenté par la
demande des ménages. Les dépenses de consommation sont financées par une
ponction dans leur épargne dont le taux est reparti à la baisse depuis trois
trimestres et par le recours à l'endettement (le taux d'endettement des ménages
s'élève à 64 % du revenu disponible en 2005 contre 59,6 % en 2004). De même,
l'introduction de nouveaux mécanismes d'incitation au crédit introduits par la
loi Breton de mars 2006, en particulier le crédit rechargeable, vise bien à
doper la consommation par des voies détournées. L'autre composante de la demande
des ménages, l'investissement logement, continue certes de progresser, mais
2006 devrait sur ce plan afficher un bilan moins favorable qu'en 2004 et en
2005.
Présenté comme la bonne surprise
qui fait pencher la balance, l'investissement des entreprises a de quoi laisser
dubitatif. En hausse de 1,8 % au deuxième trimestre après un premier trimestre
plat, le rythme moyen des dépenses en 2006 suit une pente de 4 % avec un profil
erratique. Pour mémoire la forte croissance des années 1998 à 2000 s'accompagnait
de dépenses d'investissement élevées de l'ordre de +10 % par an.
Côté emploi, le gouvernement
attribue hâtivement le recul du chômage, à une accélération des créations d'emplois,
validant de ce fait l'hypothèse de relance de l'activité, tout en saluant
l'efficacité des mesures gouvernementales : montée en charge du plan Borloo,
CNE, allégements de « charges »...
Dans les faits, l'évolution de
l'emploi renvoie à divers paramètres dont les ministres s'évertuent à minimiser
l'impact et des interrogations continuent de planer sur une baisse du chômage
peu concordante avec le rythme des créations d'emplois. En 2005, l'économie
française a en effet créé 93 000 emplois avec un taux de croissance de 1,2 %
tout en faisant diminuer le nombre de chômeurs de 125 000. Au premier semestre
2006, le chômage a concerné à nouveau 136 000 personnes de moins alors
qu'environ 50 000 emplois étaient créés dans le secteur marchand. Au total, 260
000 personnes ont quitté les statistiques du chômage depuis fin 2004.
On peut avancer plusieurs
facteurs explicatifs à cette équation suspecte :
Sur un plan qualitatif, le type d'emploi créé mérite
quelques éclairages : 78 % des créations correspondent à des CDD et la moitié
des embauches sont d'une durée d'un mois (53 % contre 35 % en 2000). La part
des emplois à temps partiel a également fait un bond de 16,6 % en 2004 à 17,2 %
en 2005.
La question du pouvoir d'achat
apparaît comme un thème majeur de cette rentrée, à tel point que le Premier
Ministre s'est vu contraint d'en faire l'axe de la communication
gouvernementale et que même Laurence Parisot a daigné reconnaître lors de
l'université d'été du Medef que le pouvoir d'achat ne progressait que «
faiblement » pour une partie de la population. La tendance n'est pourtant pas
nouvelle. L'effritement continu du pouvoir d'achat remonte à l'instauration de
la politique de désinflation compétitive au début des années 80, fondée sur la
désindexation salariale, la situation s'étant encore durcie avec la modération
salariale liée aux modalités de mise en œuvre des 35 heures.
Ces dernières années, la hausse
des prix de l'énergie, la hausse prohibitive des loyers, alimentée par la
spéculation immobilière et l'augmentation constante des tarifs publics ont
contribué à pressurer davantage le pouvoir d'achat des salariés. Ces dépenses, difficilement compressibles,
accaparent en moyenne 33 % du budget en 2005 contre 24 % en 1998. Et bien
entendu, la contrainte est d'autant plus lourde que les ménages se situent dans
le bas de l'échelle des salaires. En matière de pouvoir d'achat, Force Ouvrière
entend bien accentuer la pression dans le cadre des négociations salariales.
Concernant l'organisation d'une
conférence sur l'emploi et les revenus d'ici la fin de l'année, on sait
d'expérience que ce type de grande messe accouche la plupart du temps
de « mesurettes ».
Au moment où le Medef d'un côté,
le Ministre de l'Economie de l'autre, souhaitent faire œuvre de pédagogie en
développant la culture économique de l'opinion publique, on peut craindre qu'il
s'agisse d'une culture partagée. Force Ouvrière compte bien contribuer
activement dans les prochains mois à l'ouverture d'un débat sur les voies et
moyens d'une autre politique économique.
Bataille sociale 01/07